Les secrets de l’Opéra Garnier

Plus de 150 ans après le début de sa construction, l’Opéra National de Paris continue de fasciner. Afin de découvrir l’une des expériences phares proposées par Le Collectionist, une visite privée des coulisses et des ateliers de couture de l’Opéra Garnier, nous nous sommes rendus au cœur du 9ème arrondissement. À l’occasion de notre venue, nous avons eu la chance de rencontrer Xavier Ronze, Responsable des Ateliers de couture.  

Saviez-vous que l’édification de l’Opéra de Paris a été décidée à la suite d’un attentat meurtrier visant l’empereur Napoléon III sur le chemin de l’ancien opéra Peletier ? En 1861, ce projet monumental est confié à un tout jeune prix de Rome : Charles Garnier. Bien loin des ruelles sombres et étroites des bords de Seine, le futur Opéra National doit être un message politique à l’image du renouveau de Paris, des boulevards haussmanniens et des milliers de réverbères qui lui ont valu le surnom de Ville Lumière. Charles Garnier en fera un palais éternel, un dédale de marbre et de colonnes aux multiples secrets, dont l’architecture classique ne s’est jamais démodée.

Une guerre franco-allemande, la chute de l’Empire, le soulèvement de la Commune et l’avènement de la Troisième République plus tard, l’Opéra National de Paris ouvre finalement ses portes le 5 janvier 1875. Toute la haute société s’y presse, et même le Président Mac-Mahon est présent. Pourtant, Charles Garnier ne figure pas parmi les invités d’honneur, car il est trop associé aux excès de l’Empire. Malgré cette mise à l’écart, il a laissé son empreinte jusque dans les murs de l’Opéra. En passant par le rez-de-chaussée du Palais Garnier, ancien lieu d’arrivée des calèches et autres carrosses, les initiés pourront deviner le nom de l’architecte inscrit sur l’une des voûtes ciselées qui couronnent le plafond.

Rien de mieux qu’une entrée par la petite porte pour comprendre quel fût le leitmotiv de ce visionnaire : le crescendo. Comme les chefs-d'œuvre des grands-maîtres que l’on joue sur ses planches, le Palais Garnier a été pensé avec une précision d’horloger. Chaque marche sculptée nous éloigne de l’obscurité pour nous emmener plus près de l’art et de la lumière. Une fois passée l’escalier d’honneur, la mythique coupole de l’Opéra s’ouvre sur le ciel, tandis que deux statues grecques gardent l’entrée de l’amphithéâtre. Si l’entrée principale n’est pas sans rappeler celle d’un temple antique, c’est bien parce que la mythologie était omniprésente dans l’imaginaire de son architecte.

Derrière les hautes portes de la salle de réception, laissez-vous éblouir par un festival de dorures et de miroirs. N’oubliez pas de lever les yeux vers les fresques du plafond pour apercevoir Apollon, Dieu de l’amour et de la musique, mener la course du soleil. Plissez-les pour deviner le motif d’une lyre sur le manteau de la cheminée. Une cheminée purement décorative nous précise notre guide dans un sourire. 

Praticité et esthétique ont toujours cohabité entre les murs du palais Garnier, aussi bien au cœur des salles d’apparat qu’en coulisses. Cet équilibre subtil n’est nulle part mieux maîtrisé qu’au sein des Ateliers de couture de l’Opéra. Faufilons-nous de paliers dorés en couloirs feutrés jusqu’à atteindre la porte d’un lieu qui est le saint des saints. Chacun retient sa respiration en entrant, il ne faut en aucun cas déranger le travail des couturières, toujours à l’œuvre pour créer les tenues que porteront les étoiles. Ces « cousettes » mesurent, coupent et épinglent les plus beaux tissus jusqu’à en faire des costumes uniques au monde. C’est leur travail d’orfèvre qui a fait la réputation d’excellence de l’Opéra de Paris. Au sein des ateliers, absolument tout est fait sur mesure pour les ballerines et les danseurs, chaque mannequin est personnalisé selon les mensurations de ces athlètes de haut niveau. L’ultime défi ? Imaginer des costumes aussi féeriques que délicats pour ceux et celles dont la performance physique défie les lois de la gravité.

Les créations sont souvent mises à rude épreuve nous révèle Xavier Ronze, Responsable des Ateliers. Cet ancien de l’ESMOD, à l’enthousiasme communicatif, a rejoint la famille de l’Opéra en tant que stagiaire il y a déjà plus de trente ans. D’un pas énergique, il nous mène entre les différents départements (atelier flou, maille, décoration, tailleur et mode) jusqu’au cœur du rêve, qu’ici on appelle « Central costumes ». Dans cette salle lambrissée, les murs sont recouverts de lourds manteaux brodés et de robes 18e siècle, les tutus romantiques sont suspendus au plafond. Mises à l’abri dans ce cocon, les étoffes précieuses sont autant de trésors qui se déclinent à l’infini au son de spectacles célèbres : le Rouge et le Noir, Giselle, le Songe d’une nuit d’été… Certains de ces costumes sont très anciens, nous explique Xavier Ronze, d’autres sont des designs contemporains.

Le Responsable des Ateliers est ici chez lui et sa passion est communicative,  alors qu’il évolue entre les portants. Un instant, il s’arrête pour nous faire admirer les finitions d’un uniforme militaire, qui sera porté sur scène lors des représentations de Mayerling, célèbre ballet du chorégraphe britannique Kenneth MacMillan. Selon lui, les choses les plus simples sont souvent les plus efficaces, mais la danse est un art extrêmement vivant et dynamique qui n’a de cesse de se renouveler. L’enjeu principal est de trouver le juste équilibre entre le maintien d’un répertoire et d’un savoir-faire ancien, et de nouvelles créations toujours plus surprenantes. Porté par la jeunesse des danseurs et des artistes qui passent par l’Opéra Garnier, Xavier Ronze est un gardien du temple très moderne. 

En effet, pour lui, le prestige de l’Opéra National de Paris est avant tout le fruit d’un dialogue entre un lieu, un répertoire, des artistes et des artisans exceptionnels. Ce jeu d’échelles n’est jamais plus important que sur scène, où le moindre détail n’est pas visible, mais où l’extraordinaire qualité de la production doit être perçue par tous les spectateurs. Perçue, mais aussi ressentie, car la danse est d’abord une affaire d’émotions. Avant de nous quitter, Xavier Ronze nous emmène vers l’atelier Mode, un lieu qui flirte avec le merveilleux, au sein duquel sont confectionnés les bijoux portés lors des représentations. Le temps d’admirer la délicatesse des tiares et des couronnes, confectionnées à la main avec des cordes de piano et autres matériaux à la légèreté incomparable, il est déjà l’heure de partir. Ce soir, le Responsable des Ateliers de couture sera de spectacle à l’Opéra Garnier. En fermant les dernières portes de ce repère enchanté, Xavier Ronze nous confie qu’il n’est jamais plus heureux qu’assis dans l’amphithéâtre, lorsque les costumes prennent vie et que les heures de travail se transforment en un instant d’éternité.

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